"La réalité n'a pas besoin de moi" de Fernando Pessoa





Si je suis déjà mort
Les fleurs refleuriront de la même manière
Et les arbres ne seront pas moins verts que le printemps dernier.
La réalité n'a pas besoin de moi.
Je sens une joie immense
A la pensée que ma mort n'a aucune importance.
Si je savais que j'allais mourir demain,
Et que le printemps était après demain,
Je mourrai content de ce qu'il arrive après demain.
Si telle est son heure, quand viendrait-il, si ce n'est en son heure ?
Il me plaît que tout soit réel et que tout ce qui arrive soit précis;
Et cela me plaît car il en serait ainsi même si cela ne me plaisait pas.
C'est pourquoi si je meurs maintenant, je meurs content,
Parce que tout est réel et tout ce qui arrive est précis.
Que l'on prie en latin sur mon cercueil si l'on veut.
Si l'on veut, que l'on chante et que l'on danse autour de lui.
Je n'ai pas de préférences pour le moment où je ne pourrai plus avoir de préférences.
Ce qui sera, quand cela sera, c'est cela qui sera ce qui est.



Fernando Pessoa, "Poèmes désassemblés" (1913-1915) / Éditions de La Différence

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