Le nectar de la Conscience, par Nisargadatta Maharaj

 

 

 

Maharaj : S'il est atteint et savouré, le Charan-Amrita, le nectar symbolisé par les pieds du Seigneur, pourra conquérir et soumettre ce tyran qui nous a été imposé depuis notre enfance, l'intelligence cérébrale, et elle n'aura plus aucun pouvoir sur nous. Cet état est appelé Manojaya, la victoire remportée sur l'intellect, mais cette victoire n'est possible que par la grâce du Seigneur. Sans elle il est impossible de savourer ce nectar.

Seul un véritable disciple de la voie dévotionnelle, un Bhakta, peut obtenir le nectar. Quel est le véritable disciple, de quoi est-il fait ? Il n'est autre que la conscience, le contact profond avec l'être, la contemplation de cette évidence, "vous êtes". Cet être qui, non sollicité, est spontanément apparu en vous, cette conscience est le nectar, émanation des pieds du Seigneur.
Le cosmos vibrant et tournoyant n'est autre que la conscience représentée par les pieds du Seigneur et l'univers, l'ensemble de ce qui est connaissable, est le corps de cette conscience. Quelle est sa relation avec les êtres ? Elle est le point d'appui de toute perception. En tant que compréhension primordiale "je suis", elle est au centre de nous-même, amour de l'être, Charan-Amrita.

Seul celui qui boit ce nectar est un authentique disciple de la vérité. Celui qui se maintient dans cette continuelle évidence "je suis", celui-là est saint. Si nous savourons continuellement ce nectar qui est contemplation de la conscience ou de l'être, la perception mentale qui évalue et différencie les personnes, les classe en mâle, femelle, etc., cesse de focaliser notre attention. Se révèle alors la seule conscience dans sa gloire innée.

Comment atteindre cet état ? Cela n'est possible que lorsque "je suis" est reconnu comme point de départ de toutes choses et profondément accepté comme étant notre véritable nature. Lorsque vous l'appréhendez avec une conviction profonde et voyez sa correspondance à la formule "Je suis ce par quoi je sais que Je Suis", cette adhésion est le nectar Charan-Amrita, appelé ainsi parce qu'il est dit qu'en buvant le nectar on devient immortel. Ainsi le fervent chercheur de vérité habitant constamment cette connaissance "je suis" transcende l'expérience de la mort et atteint l'immortalité. Mais tant que le niveau mental n'est pas conquis l'expérience de la mort est inévitable.

Je parle interminablement à de nombreux visiteurs, pourtant au cours de tant d'années mon point de vue demeure inchangé, pourquoi ? Parce qu'il est stabilisé au Charan-Amrita. Je demeure ancré dans la conscience, à la source des concepts et du langage, de ce niveau émergent les idées depuis leur formation subtile jusqu'à leur forme grossière d'expression vocalisée. Si seulement vous parveniez à abandonner tout autre effort spirituel, toute discipline pour vous abîmer simplement dans la délectation de ce nectar ! Cette stabilisation au sein de la conscience suffirait pour annihiler l'intelligence cérébrale qui vous maintient en esclavage. Actuellement vous acceptez passivement ce que cet intellect vous montre comme étant vous-même, mais s'il devient silencieux qu'êtes-vous, où êtes vous ?
Lorsque vous vous maintiendrez dans la seule conscience, la réalité vous sera révélée. Elle surgira de vous-même intuitivement, comme une source jaillit du sol. Ceci vous permettra, non seulement de discerne ce qui est réel de ce qui ne l'est pas, mais - ce qui est beaucoup plus important - de prendre exactement conscience de ce "je suis".

"Que suis-je pour moi tout seul, quelle est cette vie ?" Lorsque intuitivement ces questions sont résolues et que la réalité apparaît, les facultés mentales ne peuvent plus maintenir leur domination. Bien entendu cette activité mentale et intellectuelle se poursuit, mais la qualité de son fonctionnement devient très différente. Celui qui accède à cet état ne peut plus être affecté par aucun événement et le bavardage mentale n'a plus aucun effet sur lui. Et ce "lui" qui est-il ? Sûrement pas un individu enfermé dans une coquille intellectuelle, ce "lui" est la constatation "je suis", la seule conscience.

Il est dit que nous devons briser les chaînes qui nous lient au monde sociale et à notre corps. Qu'est-ce que cela signifie ? Tout ce qui est vu, perçu, l'est au niveau social ou corporel. Un lien se crée et se développe entre les objets perçus et nous. Ce qui perçoit est identifié comme "notre" corps et celui-ci revendique ces objets comme étant les siens. La nature même de la connaissance mentale est possessivité et elle refuse obstinément de changer. Mais, si vous stabilisant dans la seule conscience, vous buvez le Charan-Amrita, tout se résoudra sans effort et vous atteindrez l'illumination. Vous n'aurez besoin des conseils de personne pour apaiser vos doutes.

Que je me livre à mes occupations quotidiennes ou que je chante les Bhajans, les louanges du Seigneur, je vous parais totalement absorbé par ces activités. En fait je suis totalement distinct de ce moi là, à l'écart de la conscience mentale et des perceptions sensorielles. Je suis simplement le témoin de la succession de ces activités se déroulant en moi. Je me demande si vous avez compris cela ?

Je suis plus ou moins lié à beaucoup de gens, mais bien que paraissant être en grande intimité avec eux je me tiens à part. J'ai pris pleinement conscience de ce que je suis et en cet instant même les tenants et les aboutissants de ce que je suis me sont parfaitement clairs. Par contre ceux qui m'entourent se croient chacun d'eux une chose différente. Ils estiment avoir acquis des connaissances, avoir atteint un degré de spiritualité plus élevé que d'autres etc...Il ne peut en être autrement puisqu'ils demeurent soumis aux conclusions de leur intelligence ! C'est en ce qui me concerne impossible, j'ai complètement absorbé la conscience, le nectar.

Tout réel fonctionnement, toute communication se produit grâce à ce medium : la conscience, le nectar. De quoi ce medium est-il ait ? Il est la perception intime "je suis" représentée par le Seigneur Vishnu, le plus haut des dieux, reposant sur les replis du serpent Shesh-Shayi.

Ces entretiens sont certes intéressants, mais prendre conscience de  leur signification, absorber leur essence est difficile. Pourquoi ? Parce que vous conservez la conviction d'être ce corps et continuez à raisonner en vous appuyant sur cette notion fausse. Vous nourrissez l'espoir d'accomplir de grandes choses dans ce monde et de plus grandes encore dans l'autre. Toutes ces résolutions sont initialement basées sur le faux concept d'être un corps. Cette fausse identification pourra néanmoins se dissoudre sans effort si vous vous immergez totalement dans la conscience où vous perdez votre individualité.
Cette dissolution n'est pas possible sans la dévotion envers le maître : Guru-Bhakti. Autrement dit, à nouveau la conscience, le Guru-Charan-Amrita. S'abandonner à la conscience résout tous les problèmes passés et à venir et stabilise dans le présent, ici et maintenant. La conscience, je le répète, est cette faculté de discerner "je suis" au-delà des mots, de reconnaître son apparition soudaine et non-sollicitée. Il s'agit de la manifestation naturelle de la force-vie universelle, elle ne peut pas être individuelle. Elle rayonne autant à l'extérieur qu'à l'intérieur, comme l'éclat du diamant. Vous distinguez intérieurement un monde imaginaire et extérieurement un monde concret perçu à l'aide de votre conscience. Du point de vue du corps vous pouvez distinguer un intérieur et un extérieur, mais si vous vous tenez dans la seule conscience qu'est*ce qui est extérieur ? Ce n'est que dans le royaume de la révélation "je suis" - la conscience - qu'un monde peut exister ou une expérience avoir lieu.

Accrochez-vus à cette découverte "je suis" et la fontaine de toute connaissance jaillira en vous, vous dévoilant les mystères du corps et de l'esprit, le jeu des cinq éléments, des trois Gunas, de la Prakriti-Purusha et de tout le reste. A la faveur de cette révélation votre individualité identifiée à ce qui est corporel va connaître une vaste expansion et se déployer aux dimensions de l'univers manifesté. Vous découvrirez alors que vous contenez et pénétrez le cosmos tout entier, que vous l'appréhendez comme étant simplement votre corps. Ceci est désigné par le terme "pure connaissance supérieure", Sdudh-Vijnan.

Pourtant même au sein de ce sublime étant de Sdudh-Vijan l'intellect refuse de se reconnaître comme non-entité. Au fur et à mesure que vous vous abandonnerez à cette pure pure conscience, néanmoins, l'évidence de la faillibilité et de l'inconsistance des manipulations intellectuelles va graduellement se renforcer et vous pourrez reléguer l'intellect à sa vraie place, la seconde. Ce réajustement constitue la preuve de la victoire de l'Atma-Jaya, votre être véritable.

Chaque être humain est à même d'atteindre ce niveau de Sdudh-Vijnan et chacun peut s'y maintenir à la condition de ne plus s'identifier à un corps mâle ou femelle et refuser de s'associer à ce qui est soumis à naissance et mort. Se pose alors la question : comment se libérer de ces chaînes ? la réponse est bien simple, il vous faut nourrir la ferme conviction que ce savoir "vous êtes", ce sens d'être, est la source même de votre monde. C'est uniquement ce savoir qui vous fait éprouver "vous êtes et le monde est". En fait c savoir, cette connaissance ayant investi et saturé le cosmos, demeure en vous tous en tant que révélation "vous êtes". attachez-vous à ce constat sans essayer de lui donner un titre ou un nom quelconque.

A présent abordons une question très subtile. Qui en vous-même comprend ce savoir " vous êtes" - ou de votre point de vue, "je suis" - sans nom, sans titre, sans mot ? Trouvez-le et abandonnez-vous au noyau de ce centre, effondrez-vous au cœur même de ce centre, contemplez ce constat "je suis" et simplement Soyez...rien d'autre ! C'est la béatitude de l'être, le Swarupa-Ananda.

Vous vous procurez le contentement et le plaisir de façons très diverses, certains aiment la bonne nourriture, d'autres recherchent un bon film, d'autres encore s'absorbent dans l'écoute de la musique etc. Pour jouir de tout cela un élément extérieur est toujours indispensable, mais pour se maintenir dans la béatitude de l'être aucun agent extérieur ,'est nécessaire. Prenez l'exemple du sommeil profond, aucune intervention extérieur, aucune traitement ne sont nécessaire pour l'atteindre et y savourer un bonheur tranquille. Pourquoi ? Parce qu'au sein de cet état votre identification avec un corps même ou femelle s'est dissipée.

Certains visiteurs viennent et me demander "montrez-nous le chemin conduisant à la réalité". Comment pourrais-je ? Les chemins conduisent tous à l'illusion, à des chimères. Les chemins sont la création de la sphère des connaissances qui suscite concepts, formes et mouvements. Comment mouvements et chemins tracés pourraient-ils vous mener vers la réalité alors que leu r fonction est d'associer au monde des notions et des objets ? LA réalité est indépendant et antérieur à tout cela. Pour en  avoir une claire compréhension il faut vous maintenir à la source de votre propre apparition, au commencement du constat "je suis". Tant que vous n'aurez pas réussi cela vous demeurerez prisonnier des fers forgés par votre intellect et empêtré dans telle ou telle conviction ou théorie.

Donc je le répète, stabilisez-vous dans la source de votre être et toutes vos chaînes se briseront sur l'heure et vous serez libre. Vous transcenderez le temps, vus serez hors d'atteinte de ses tentacules et vous vous maintiendrez dans l'éternité. Cet état sublime ne peut être atteint qu'en savourant, en tétant continuellement ce nectar coulant des pieds sacrés du guru. C'est un état de joie parfaite, votre véritable nature s’abandonnant béatement à elle-même. C'est une joie qui est au-delà de toute description. C'est aussi une totale lucidité dans une totale quiétude.

L'essence de cet entretien est très claire, votre atout le plus précieux est la révélation de ce constant, "vous êtes", antérieur à toute émanation intellectuelle. Accrochez-vous à cette évidence omniprésente et méditez. Rien n'est supérieur à cela, pas même la dévotion à un guru ou à un Dieu.


SRI NISARGADATTA MAHARAJ

Janvier 1980

"Ni Ceci Ni Cela"


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