La Notion de "moi" par Dilgo Khyentsé Rinpoché

 


 


"Quand l'esprit est associé aux éléments qui constituent le corps, nous percevons les phénomènes extérieurs. Nous voyons des formes, entendons des sons, sentons des odeurs, goûtons des saveurs, touchons des objets. Mais ajouter à cette combinaison éphémère la notion d'un égo, c'est fabriquer le concept d'un individu possédant une existence propre. Nous nous attachons à cette association du corps et de l'esprit qui opèrent ensemble pour la durée de cette vie et leur donnons un nom. Cependant, aucun de ces concepts (corps, esprit et nom) ne résiste à l'analyse. Ce sont de simples étiquettes vides de réalités intrinsèque.
Examinons tout d'abord ce que nous appelons corps. Il est composé de différents éléments: la peau, les os, la chair et les organes. Dépeçons-les mentalement, entassons d'un côté la peau, de l'autre les os, etc. Nous ne pouvons nous référer à aucun de ces constituants comme étant le corps lui-même, ni affirmer que se trouve en l'un d'eux, une entité corporelle qui justifierait la notion de corps. En effet, "corps" n'est autre qu'une étiquette attribuée par l'esprit à un ensemble d'éléments hétérogènes réunis pour une durée aléatoire. Il n'a pas d'existence indépendante. Malgré tout, nous pensons "C'est mon corps" et recherchons par tous les moyens ce qui nous procure du plaisir, tout en évitant ce qui nous déplait. 
Nous tenons également pour acquis que nous avons un esprit. Essayons de chercher cet esprit; nous ne le trouverons nulle part dans le corps: ni dans le cerveau, ni dans le coeur, ni dans la peau. Il n'est ni rond, ni carré, ni rectangulaire; ni jaune, ni vert, ni rouge; ni solide, ni fluide, ni concentré en un point, ni diffus dans tout le corps. Ici encore, "esprit" est simplement un nom attribué au défilé incessant des pensées, tout comme "rosaire" est le nom attribué à cent perles enfilées ensemble.
Il en est de même pour les noms. Le mot "humain" par exemple, est constitué de six lettres. Si nous considérons chacune d'elles séparément, l'idée d'être humain disparait.
Ce processus de conceptualisation est erroné. Néanmoins, une fois enraciné en nous, il nous pousse à considérer certains êtres et certaines choses comme nôtres et à regarder tout le reste avec indifférence, voire de l'hostilité. Nous ne supportons pas d'être séparés de notre famille et de nos amis qui sont si bons envers nous et nous sommes prêts à tout, bien ou mal, pour les satisfaire ou les défendre. Cet égarement se nomme attachement ou désir.
En revanche, d'autres à nos yeux sont nuisibles. Nous décidons qu'ils sont nos ennemis et faisons l'impossible pour les éloigner ou leur nuire. Cette obstination se nomme aversion ou haine.
L'ignorance ou obscurité mentale, dès qu'elle imprègne tout notre être, sufit à nous faire errer dans le samsara. En fait, l'attachement et la haine sont simplement dus à notre incapacité de reconnaitre que "ennemi" et "amis" sont des concepts absurdes et inconsistants.
Le nombre de nos naissances est incalculable et dans chacune de nos vies, nous avons eu des parents, des amis et des ennemis. Qui furent nos parents, nos amis et nos ennemis dans le passé et qui le seront dans l'avenir ? Nous ne le savons pas. Peut-être cet ennemi mortel sera-t-il notre enfant dans une prochaine vie et nos parents bien-aimés nos ennemis. On chercherait en vain un seul être à travers l'univers qui n'ai été, à un moment ou un autre, notre père ou notre mère. Il est donc insensé d'éprouver de la haine ou de l'attachement et faire une discrimination entre amis ou ennemis. Nous ressentons de telles émotions parce que nous ne pouvons lire le passé des êtres. Nous sommes totalement plongés dans l'illusion"
 
 
Dilgo Khyentsé Rinpoché - Au seuil de l'éveil. (p.38 et 39)

 

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